Dog songe

Le titre de ce sixième recueil résonne d’éloquence. On pense d’emblée à Tom Waits et à Leonard Cohen, à Rain Dogs et à Songs of…Rêve canin ou songe de chien, ces dix titres oniriques, format classique, consolident pourtant ce qu’il y a déjà de plus solide en matière de chanson française et d’émotions hexagonales et vraies. Piano digne, accordéon, harmonium, cordes légères, guitare acérée, composent une cérémonie dépouillée, sans la moindre forme d’ostentation, ni de logorrhée hypermoderne, Marcel Kanche demeure un précieux artisan des mots, des mots polis par une passion profonde à l’égard de son art. Sa voix de baryton n’a jamais été aussi mûre, sûre des mots qu’elle susurre. Sur Homme à genoux, Marcel chante : « je cherche l’aube dans tes yeux sombres. « Ce soir, le nombre des étoiles dans mes yeux me manque » lui aurait peut-être répondu le poète Jean-Philippe Salabreuil, disparu prématurément, avec lequel Kanche partage de nombreuses fulgurances. Ses images éblouissent instantanément le regard. Musicien autodidacte, poète accompli, chanteur éloquent, Marcel Kanche est un artiste rare, exigeant. « Nous cherchions de l’or dans les mines de silence » poursuit-il, sûr de sa quête d’une beauté convulsive sur A l’affût d’une carapace. Les chœurs féminins renvoient un lointain écho des partenaires romantiques de Leonard Cohen circa Songs of Leonard Cohen. Kanche a depuis longtemps endossé pardessus noir et imperméable bleu, se drapant magnifiquement dans les chœurs yiddish de Pluie de terre. Nimbé d’ambiances mélancoliques, ce disque s’écoute entre chien et loup, mais s’apprivoise pour l’éternité. Le soir tombe certes, mais le piano bleu, les cordes frottées et le chant solennel mais toujours charnel de Kanche incitent à des agapes dorées, où convolent sobriété instrumentale, élégance verbale et onirisme canin. Florent Mazzoleni