La femme grillagée

Après avoir consacré les trois années précédentes à sortir des compilations ou des recueils de chansons paillardes, Pierre PERRET nous revient enfin en 2010 avec un réel nouvel album.
Il a alors plus de soixante-quinze ans et cela commence à s’entendre. Sa voix se montre moins assurée, plus tremblante, notamment sur les chansons les plus posées, les plus tendres ("La femme grillagée", "Sauvage", "Chanson minable"). Mais sur les titres plus entraînants, nous retrouvons son timbre de voix habituel, à l’instar de sa prestation sur "La vie du Pape".
En revanche, s’il est des domaines dans lesquels Pierre PERRET ne connaît aucune baisse de forme, ce sont bien les mélodies et l’orchestration toujours au niveau des meilleures périodes de sa carrière. Il en va de même des textes, toujours le point fort de son œuvre, certains d'entre eux révélant un écrivain au sommet de son art. C’est le cas avec le truculent "La vie du Pape" ou le plus grave "Femmes battues". Qu’il s’agisse de faire rire en désacralisant certains sujets ou d’adopter un ton plus sérieux et direct, nous sommes en présence d’un orfèvre de la plume.
Même lorsqu’il cède à la facilité de la chanson ouvertement grivoise, comme la sans équivoque "Le cul", il parvient à nous impressionner par sa maîtrise de la langue française. Ce n’est clairement pas le registre dans lequel j’aime le voir se complaire, car cela me donne un peu le sentiment qu’il se sent obligé de se fourvoyer dans ce style uniquement parce qu’il a grandement contribué à faire sa renommée. Mais force est de constater que la technique est assez époustouflante et que le Pierrot jongle avec maestria avec les mots, les contre-pieds lexicaux et les allusions.
Sans surprise, le résultat est bien souvent assez époustouflant, le Pierrot nous pond là des chansons qui emportent haut-la-main le droit de figurer sur une compilation des meilleurs titres du monsieur, sachant que le nombre de prétendants est impressionnant.
A commencer par "Femmes battues", d’une finesse et d’une tendresse renversantes. Le genre de chanson qui possède à la fois une fluidité et une évidence telles qu’on se demande comment on n’a pas eu l’idée de la composer soi-même auparavant, et une d’écriture qui nous laisse à penser que le bonhomme est habité par une grâce inatteignable. PERRET s’empare d’un sujet d’une noirceur et d’une gravite insondables pour nous proposer une chanson 'baume au cœur". Un thème qu’il aborde également dans un "Clémentine" plein de Swing montrant l’importance du chemin parcouru depuis ses débuts où, sous couvert d’humour facile et de gaudriole typée cabaret, il dressait un portrait des femmes bien moins respectueux.
La qualité est également au rendez-vous avec "La femme grillagée" qui donne son nom à l’album et créera un peu le 'buzz'. Cette chanson dont Pierre PERRET déclare qu’elle trouve son origine bien avant le débat sur le voile intégral a en effet été l’objet de rumeurs prétendant qu’elle avait été censurée dans les médias, à tel point qu’en décembre 2012 le chanteur s’est fendu d’un communiqué dans lequel il a exposé sa peur de voir cette chanson mal interprétée et dans lequel il rétablissait la vérité en indiquant qu’elle n’avait jamais fait l’objet de censure.
Mais le Pierrot ne brille pas que lorsqu’il adopte un ton sérieux et grave. Il est tout aussi à l’aise lorsqu’il sort son nez rouge, comme c’est ainsi le cas avec le convaincant et hilarant "La vie du Pape". Ou bien lorsqu’il se fait grivois ("Clémentine").
Au rayon des réussites, on peut également citer "Les enfants de là-bas" dont le petit côté Bossa-nova évoque Henry SALVADORE, ou le tendre "La réponse à ma vie", une belle déclaration d’amour.
On le voit, il n’y a pas, ou très peu, de déchets dans cet excellent album qui voit Pierre PERRET renouer avec les meilleurs moments de sa carrière. Encore une fois, ses qualités de compositeur et d’écrivain sont merveilleusement orchestrées, les riches arrangements musicaux de Frédéric Manoukian permettant au chanteur de briller de bien belle manière.
Il y a lieu de saluer un artiste encore capable de nous impressionner après plus de cinquante années de brillante carrière.

Source : Nestor – Forces Parallèles / Nightfall